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Nouvelles histoires de pêche à l'Ornain


Marcel L. était un personnage inoubliable, truculent et haut en couleur du Revigny-sur-Ornain des années 1960. Il possédait une gouaille légendaire et inoubliable. C’était un très bon copain de mon père. Je l’apercevais quelques fois à la pêche.

Un après-midi, je le vis pêcher dans le trou des américains, à côté des roseaux. Je me dirigeais donc vers lui pour le saluer et savoir s’il avait attrapé quelque chose :

« Bonjour Monsieur L., alors ça mord ?

— Ah salut, toi, le jeune, non, il n’y a rien à foutre. À croire qu’ils font la grève de la faim, ces cons de poissons.

— Pourtant, ici, il y en a des beaux.

— Je m’en doute et toi t’as choppé quelque chose ?

— Non, je viens d’arriver.

— T’es le fils du Robert, toi ?

— Oui.

— Comment ça va ton père ?

— Il est toujours à Nancy.

— Tu lui donneras le bonjour et tu lui diras que je passerai le voir quand il sera rentré. Au fait, je voudrais te demander quelque chose, j’ai acheté une ligne chez l’Aristide hier soir et le bouchon fonce, tu sais, pourquoi ?

— C’est parce que vous êtes trop plombé. Il faut en enlever.

— T’es pas con, toi. T’es bien le fils de ton père. Et t’en attrapes en ce moment à la pêche ?

— Un peu…vous avez vu le brochet ?

— Le brochet ? Quel brochet ?

— Celui qu’est crevé dans la rivière.

— C’est loin d’ici ?

— Non, juste derrière.

— Tu peux me le montrer ?

— Sans problèmes. »

Marcel L. me suit. Je l’emmène au cœur d’une véritable forêt vierge. Partout, il y des ronces, des orties, des broussailles. Il jure, récrimine, peste derrière-moi : « Ah ben putain, tu parles d’un merdier, il faut y aller avec un coupe-coupe dans ce bordel. C’est pire que dans la jungle de l’Amazonie, là- dedans. »

Après bien des péripéties et des détours, nous arrivons au bord de la rivière.

« Vous le voyez là ?

— Attend, il faut que j’essuie mes lunettes… C’est où, tu me dis ?

— Juste derrière le saule.

— Oh oui, bon dieu, tu parles d’un bestiau. Qu’est-ce qu’il a eu ?

— Je n’en sais rien.

— Tu peux le ramener avec ton lancer.

— Oui.

— C’est peut-être un pêcheur qui a cassé une monture d’acier dans sa gueule. »

À mon troisième lancer, je parvins à raccrocher le dos du poisson avec ma cuiller et à ramener le brochet. Marcel L. était dans tous ses états. Il jurait pire qu’un arracheur de dents.

« Putain de bordel, c’est pas vrai qu’il y a des bestiaux comme ça dans la rivière et qu’on n’arrive pas à les attraper ! Putain, c’est un vrai monstre ! »

Le brochet était sur la grève. C’était une belle bête. Sa peau n’était pas abîmée.

« Tu peux le mesurer, p’tiot ?

— Oui. »

Je sortis le mètre et annonçai 95 cm.

« C’est un monstre, il est impeccable. Hein, qu’est-ce que tu en penses ?

— Oui.

— Je me demande ce qu’il a eu ? Tu peux ouvrir sa gueule pour voir ? »

Je pris ma pince et ouvrit la gueule du brochet.

« Il n’y a pas de montures.

— En plus ses ouiës n’ont pas l’air abîmées. Elles sont encore rouges. Il doit être mort ce matin, pas plus.

— Oui. »

Personnellement, les ouiës du brochet, je les voyais plutôt rose pâle, mais certaines personnes ont parfois des problèmes pour distinguer les couleurs. C’était sans doute le cas de Marcel L.

« Il est net de noeud.

— Oui.

— Tu le prends ?

— Non.

— Si tu n’en veux pas, je l’embarque. Ça ne te dérange pas.

— Non.

— T’en parles à personne, hein ?

— Bien sûr.

— Attends, je vais te donner 5 F pour m’avoir aidé à le ramener.

— Merci.

— Et si tu trouves un jour, une belle truite ou un beau brochet, pense à moi. Tu sais où j’habite, tu ne peux pas te tromper, C’est à l’entrée du Boulevard des allongés.

— Oui. »

Trois semaines plus tard, je revis Marcel L. Il me parla du brochet :

« Tu sais, il était sacrément bon. T’en n’as pas vu aujourd’hui ?

— Non

— C’est dommage. »


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